Thomas Lacroix

Convenances

C’est un intérieur douillet et chaud comme un chat en hiver. Des moulures dorées grimpent le long des plinthes, le feu s’agite mollement dans la cheminée et un bouquet de fleurs séchées égaye la petite table au centre de la pièce.
 
A l’extrémité de la bergère de style Empire trône la maîtresse de maison. Sa robe bouffante la bouffe jusqu’aux joues. On devine derrière les fanfreluches un visage noble et hautain qui fut gracieux en son temps mais que les ans ont rendu plus sévère. Madame Adélaïde Ignés de Sainte-Ménehoulde-Péronard-Chamboliart, veuve Montalembert-Derouet, fait signe d’approcher à son valet de chambre qui vient de se présenter. Il tend ostensiblement à sa maîtresse une lettre sur un plateau d’argent, soigneusement pliée.
 
Elle la prend avec une grâce étudiée, la retourne pour découvrir le nom de l’expéditeur : Philémon d’Antremesle. Surprenant. Elle le connaît à peine. Tandis que le valet, ombre importune, se retire en silence, Madame fait sauter d’un coup d’ongle le cachet de cire rouge qui scelle la lettre. L’écriture est fine et se déroule en courbes discrètes. Madame juge qu’elle manque de personnalité mais entreprend néanmoins de prendre connaissance de son discours.
 
 
 
Adélaïde,
 
 
 
Adélaïde Ignés de Sainte-Ménehoulde-Péronard-Chamboliart hausse un sourcil. Pas très haut, mais tout de même.
 
-         Hé bien, quelle familiarité..
 
 
 
..j’ose enfin prendre la plume. Elle est lourde dans ma main car mon cœur tremble de vous apprendre ce qui me pousse à écrire. Il est des instants dans la vie d’un homme où la force d’une décision prend le pas sur celle du destin. J’ai l’opportunité de faire ce choix décisif et je ne resterai pas sans voix. Pas cette fois.
 
Depuis plusieurs mois je guette votre silhouette dans les cocktails..
 
 
 
-         Seigneur Dieu.
 
 
 
..lorsque nous conversons, votre souffle est le mien et ma joie est fille de vos sourires. Chacun de vos regards est un baume léger pour mon âme tourmentée qui n’a plus de raison d’être que pour vous. Que ne vous ai-je rencontrée plus tôt ? Voici des années que je vis seul, portant un deuil qui, je le croyais, ne cesserait jamais.. mais vous voilà et je veux vivre à nouveau. Je sais que la vie ne vous a point épargnée, que vous connaissez comme moi le silence des cimetières, la brûlure des larmes.
 
 
 
Adélaïde Ignés de Sainte-Ménehoulde-Péronard-Chamboliart cesse de lire. Elle revoit en songe le médaillon de baptême de sa fille entre ses doigts, à la lueur des bougies de la chapelle ardente. Les autres personnes présentes ne sont désormais plus que des silhouettes effacées dans sa mémoire. Mais elle n’a pas oublié ses pensées en cette heure haïe. Des pensées qu’elle imaginait encore quelques heures auparavant vulgaires fantaisies de roman, lui étaient venues spontanément. Et elle les avait analysées plus que ressenties. Encore maintenant, elle ne comprend pas pourquoi elle s’est trouvée simple spectatrice de son propre drame.
 
 
 
Un crépitement sec provenant de la cheminée la tire de sa rêverie.
 
 
 
Elle reprend avec plus d’attention la missive qu’elle devine soudain trop brève.
 
C’est la voix de Philémon d’Antremesle qu’elle entend à présent, lui soufflant un air qu’elle n’a plus entendu depuis des siècles lui semble-t-elle. Cette lettre lui parle, fait vibrer en elle la corde si des possibles, la perturbe plus qu’elle n’ose encore se l’avouer.
 
Pour un peu, elle laisserait échapper une frisson.
 
 
 
Nous vivons seuls, chacun de notre côté, dans l’espoir d’oublier ces instants funestes. Mais ces choses là ne s’oublient pas.
 
Moi, je vous offre un souffle, un repos. Ce sont des rires que je vous apporte, de nouveaux plaisirs, de nouvelles espérances. De deux vies blessées faisons un avenir vivace. Ne vous offusquez pas de mon audace, Madame, ne répondez pas encore, acceptez simplement de réfléchir à cette éventualité.
 
 
 
Mon dieu.. et s’il avait raison ? Si ce rêve pouvait s’accomplir ? Madame n’ose poursuivre sa lecture. Ce serait folie de suivre cet homme, mais…
 
Prestement, elle saisit la clochette posée au centre du guéridon à ses côtés. Du geste sûr de celle qui vit d’automatismes, elle appelle son valet de chambre d’un tintement empressé. Il ne tarde pas à répondre au signal, sa main actionnant le loquet de la porte alors même que la clochette retrouve sa place initiale.
 
-         Madame ?
 
-         Un chocolat chaud.
 
-         Bien Madame.
 
Déjà, la porte s’est refermée. Madame est de nouveau seule. Elle tremble un peu, mais à présent c’est de savoir le fin mot de cette lettre. Elle sait que sa vie peut prendre un tour inattendu, enivrant, sucré. Qui saurait dire si elle reprend le texte depuis le début par plaisir ou par peur ? Toujours est-il qu’emportée par le flot des paroles qui la bercent, elle ne s’arrête plus et saisit entre deux battements de paupières la fin sonnante de cette envolée :
 
 
 
Et si j’ose enfin, Madame, me jeter ainsi à vous sans honte, brûlant d’un improbable espoir, sachez que c’est pour une simple et tendre raison.. J’espère proche le jour où je pourrais vous tenir contre moi et vous souffler enfin des paroles trop longtemps contenues :
 
 
 
je t’aime.
 
 
 
                        P.E.
 
 
 
 
 
Ces derniers mots roulent comme le tonnerre dans l’esprit d’Adélaïde Ignés de Sainte-Ménehoulde-Péronard-Chamboliart. Elle considère la lettre encore un instant. Puis elle la laisse plonger dans l’âtre de la cheminée avec dédain.
 
 
 
On ne tutoie pas une dame.
 

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Veröffentlicht auf e-Stories.de am 08.08.2006. - Infos zum Urheberrecht / Haftungsausschluss (Disclaimer).

 

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